Paroles de Lauréats : Jordana Remon
La crise vue de Djibouti
Aujourd’hui avec Jordana Remon, Directrice commerciale, Associée du Groupe Coubèche, groupe agroalimentaire historique de la République de Djibouti. Jordana Remon est lauréate Choiseul 100 Africa.
Face à la crise, chaque jour, les lauréats et alumni Choiseul, mais aussi plusieurs de nos amis et partenaires, réagissent. Une série d’échanges avec plusieurs d’entre eux qui nous font part de leur vécu, nous exposent leurs stratégies de rebond mais aussi nous livrent leur vision du « jour d’après ».
Djibouti a été peu touché par la propagation du covid19. Quelles mesures ont été prises pour lutter contre l’épidémie ?
Effectivement, notre pays s’est immédiatement mobilisé pour lutter contre cette pandémie. Sur plus de 23 000 tests réalisés à ce jour (2,3% de la population) soit le 2e per capita d’Afrique, Djibouti comptabilise 2468 cas positifs, 1079 guéris et déplore 14 décès (en date du 25 mai 2020).
Le gouvernement djiboutien a adopté des mesures rapides de prévention à l’échelle nationale parmi lesquelles, la fermeture anticipée des frontières suivie d’un confinement général, l’acquisition massive d’équipements médicaux associée à de larges campagnes de sensibilisation sur l’utilisation des gestes barrières.
Parallèlement à cela, une politique de dépistage massive a été mise en place, consistant à tracer les cas suspects, à les tester, les isoler s’ils sont déclarés positifs et à les traiter systématiquement suivant le protocole d’hydroxychloroquine, après approbation médicale. À cet effet, de nombreux centres d’isolement ont été créés dans la capitale et les régions.
Cette stratégie, alliée à une coordination exemplaire et rapide entre les différents services concernés (sécuritaires et sanitaires) a permis de contenir la propagation du virus et de maîtriser ses effets. Cette gestion de crise et en particulier cette politique de dépistage offensive, a par ailleurs, été saluée par le secrétaire général des Nations Unies.
De par sa position stratégique, Djibouti est un véritable hub logistique situé au carrefour entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Quelle sera selon vous l’impact commercial de cette crise mondiale sur le pays et la sous-région ?
Cette crise sanitaire a engendré une forte baisse des échanges commerciaux concomitante à celle de la production mondiale. Porte d’entrée du marché du COMESA (400 millions d’habitants) et situé sur la deuxième route maritime par laquelle transite 60% du trafic mondial, Djibouti sera forcément impacté, même si les prédictions de l’OMC restent plus optimistes dans cette partie du monde.
En dehors de l’activité djiboutienne et des transbordements, plus de 90% des flux imports et exports de l’Éthiopie transitent par nos infrastructures portuaires. Les capacités de notre voisin à relancer son activité économique et le niveau de ses exportations (produits agricoles et manufacturés) seront donc déterminantes pour nous.
À Djibouti maintenant de consolider l’ensemble de ses atouts pour maintenir le cap de la croissance. En plus d’être un hub logistique, le pays est également un carrefour où convergent réseaux et infrastructures dans le secteur des télécommunications.
Enfin, Djibouti représente une place financière enviable avec une monnaie indexée au dollar US, librement convertible, et exempt de tout contrôle de change. Ainsi, en plus de nous protéger d’une dévaluation de la monnaie en temps de crise, le système financier permet une liberté totale de transferts de devises, avantage majeur dans la région et à l’échelle continentale.
Le groupe Coubèche est un acteur clé de l’industrie alimentaire et de la distribution à Djibouti. Comment le groupe a-t-il appréhendé cette crise et adapté son fonctionnement pour y faire face ?
Dès le début de cette crise, que ce soit sur le plan de l’industrie ou de la grande distribution, nous avons dû être très réactifs pour faire face à la complexité de la situation.
Avec les fermetures des frontières, une des priorités du gouvernement a été de préserver la sécurité alimentaire. L’urgence nationale s’est donc portée sur l’augmentation des stocks stratégiques. Ainsi, nous concernant, les productions de boissons et particulièrement d’eau, ont été maximisées au niveau des lignes d’embouteillage. Dès l’annonce du confinement et comme partout ailleurs, les magasins ont été très sollicités car la population avait besoin d’être rassurée.
Les défis ont été nombreux à relever simultanément. La priorité a été donnée à la mise en place de protocoles visant à protéger nos collaborateurs et nos clients. En interne, formations, informations et distribution d’équipements de protections ont été immédiatement initiées. Des horaires blocs facilitant le transport, la rotation et l’étanchéité des équipes, sur les différents sites, ont été instaurés. En externe et en accord avec les réglementations gouvernementales, les mesures de distanciation et de protection des clients ont été déployées au niveau des surfaces commerciales.
Quant à la gestion Groupe proprement dite, une routine quotidienne de communication et de partage d’informations a été développée, basée sur une veille permanente de la mise à jour des mesures édictées par les autorités.
Comment vous projetez-vous dans l’après-crise ? Votre business model sera-t-il durablement transformé ? Voyez-vous dans l’après-crise des opportunités nouvelles pour un groupe comme le vôtre ?
Dans un secteur en perpétuelle évolution, nous devons nous adapter sans cesse aux besoins de nos consommateurs. Je pense que dans un monde où sécurité sanitaire et durabilité sont devenus des priorités, le « sans contact » privilégié, nous allons devoir apporter des réponses innovantes et diversifier davantage nos offres et nos canaux de distribution. Même s’il est encore trop tôt pour mesurer les retombées de la crise, de nouvelles tendances sont en train de se dessiner. La transition digitale sera accélérée et à travers celle-ci, des opportunités telles que la vente via des plateformes de e-commerce ou « drive » seront à saisir. Celles-ci permettront également une facilitation des échanges à l’échelle régionale. Ces projets sont déjà à l’étude.
De manière plus générale, chaque entreprise doit tirer les leçons de cette crise pour moderniser son mode de fonctionnement afin de gagner en efficience et en adaptabilité.
Selon vous, quels changements majeurs caractériseront le monde d’après ?
Cette pandémie a déclenché une crise économique et sociale mondiale, qui va forcément affecter durablement notre quotidien. Suivant les répercussions qu’elle aura sur les populations, leurs modes de fonctionnement ainsi que leurs modes de consommation, chaque société réagira différemment. Leur résilience, leur capacité d’adaptation et leur flexibilité seront déterminantes pour appréhender l’avenir.
Cette période nous a également démontré à quel point, les économies, rythmées par l’offre et la demande, sont interdépendantes. Alors que la relocalisation deviendra une priorité pour certaines Nations occidentales, cette crise aura prouvé la nécessité et par conséquent l’opportunité pour d’autres, notamment africaines, de développer des industries de production et de transformation, afin d’acquérir plus d’autonomie dans des secteurs prioritaires. En effet, avec un montant de quelques $232 Md d’importations annuelles de produits manufacturés sur le continent africain, les équilibres de production mondiales sont à revoir.
Enfin, je souhaite que la prise de conscience générale des enjeux et des défis à relever, principalement en termes de développement durable et d’équilibre sociétal, ne soient pas éphémères et s’inscrivent dans la durée.