Paroles de Lauréats : Jean-Marc Danton
Crise sanitaire, un test pour les dirigeants et pour la gouvernance des entreprises.
Pour ce dernier entretien, nous retrouvons Jean-Marc Danton, Directeur général de Progress Associés, l’un des principaux cabinets de conseil en recrutement et en développement pour les dirigeants d’entreprises et les membres de conseil d’administration. Progress est partenaire du Choiseul Les Nouveaux Conquérants de l’Économie.
Face à la crise, chaque jour, les lauréats et alumni Choiseul, mais aussi plusieurs de nos amis et partenaires, réagissent. Une série d’échanges avec plusieurs d’entre eux qui nous font part de leur vécu, nous exposent leurs stratégies de rebond mais aussi nous livrent leur vision du « jour d’après ».
Vous êtes l’un des spécialistes de la chasse de têtes executive » : dirigeants, comités de direction et administrateurs. Chacun a pu observer les chiffres du chômage : comment votre entreprise s’adapte-t-elle ?
Chez Progress Associés, nous avons traversé plusieurs crises économiques, 1992-1993, 2000-2003, 2008-2011… Chacune est venue avec son lot de risques et d’opportunités. Celle-ci est sans précédent, mais nous étions prêts. Ce qui a été testé en premier lieu dans toutes les entreprises, c’est la capacité à faire face à l’inattendu ou à l’exceptionnel, c’est le niveau d’engagement et de créativité des équipes, le niveau de préparation au travail à distance. De ce point de vue, nous sommes satisfaits de la façon dont Progress Associés s’est confrontée à la crise sanitaire. Nous utilisions déjà les principaux outils nécessaires au télétravail. Nous avons la chance d’avoir construit une équipe agile, mobilisée et capable de gérer des réalités très différentes. Nous avons immédiatement pris les mesures nécessaires pour protéger les collaborateurs et continuer à assurer nos missions. Nous avons le sentiment que le confinement nous a renforcés dans notre projet d’entreprise et notre envie de travailler ensemble. C’est un point essentiel dans un tel contexte.
Dans les crises économiques, le secteur du recrutement est malheureusement fortement exposé mais pas de la même manière selon les segments de marché. Pour la chasse de têtes « executive », l’état de l’économie n’est pas l’unique facteur : ce qui importe est essentiellement la capacité des entreprises à prendre des décisions et leur volonté de se développer ou, en période plus difficile, de se transformer. Nous constatons une baisse de chiffre d’affaires au printemps, mais nous avons eu peu d’annulations de missions. Finaliser les projets en cours a parfois pris plus de temps car il est difficile pour certains clients d’embaucher sans avoir vu physiquement les candidats sélectionnés. Sur ce point, la situation est en train d’évoluer avec le déconfinement. Mais plus fondamentalement, le volume d’activité a baissé car les Présidents et les Comité de Direction mobilisent aujourd’hui leur énergie sur leur organisation post-confinement, sur la relance, sur la définition de nouvelles visions stratégiques. Ainsi le sujet immédiat n’est pas le recrutement même si la crise a eu un effet révélateur sur la qualité ou la faiblesse du management et des organisations. Les décisions de transformation des comités de direction vont être davantage d’actualité dans les prochaine semaines et à la sortie de l’été. Dans notre secteur, les projections économiques au-delà de deux mois sont difficiles, mais il est clair que de nombreux dirigeants vont assez rapidement tirer des leçons de la crise et prendre des décisions d’optimisation de leur gouvernance : ce qui a fonctionné ou pas, les nécessités de renforcement de telle ou telle capacité, les adaptations en fonction d’enjeux stratégiques revisités…
Bien entendu, nous nous sommes organisés pour tous les scenarii. Si la situation reste stable sur le plan sanitaire (pas de retour de la pandémie dans les mois à venir) et/ou sur le place social, l’activité économique peut repartir à la rentrée mais avec de fortes disparités selon les secteurs. Nous nous conformons aujourd’hui aux messages du gouvernement, en maintenant le télétravail comme règle. Nous ne savons pas ce que sera la norme chez nous demain. Ceci dit nous sentons, comme d’autres, que la manière de travailler et de s’engager dans l’entreprise a changé et que le travail à distance et les outils numériques vont prendre une part plus importante.
Vous disposez d’un poste d’observation particulier sur les problèmes des dirigeants dans de nombreux secteurs. Comment les entreprises ont-elles été impactées ? Comme les dirigeants ont-ils géré la crise ?
Les situations auxquelles les dirigeants ont été confrontés sont très hétérogènes. Il y a des secteurs qui ont été complètement à l’arrêt, comme l’hôtellerie, la restauration, le tourisme, …. Un chiffre d’affaires proche de zéro, des frais qui courent, le moral des salariés à maintenir, … et maintenant le redémarrage dans un contexte incertain et dégradé : bref, une grande complexité. A l’inverse, certains secteurs ont généré davantage de chiffre d’affaires qu’habituellement, dans la distribution alimentaire, le bricolage, ou bien dans les modèles économiques compatibles avec le télétravail (services, trading, jeux vidéo, telcos…). Il est donc difficile de poser un constat simple et unique, d’autant que la situation va évoluer, soit en raison de la généralisation de la crise économique et sociale, soit parce que certains secteurs vont pouvoir redémarrer. Par ailleurs, dans une même entreprise, le tissu social n’a pas connu une expérience homogène. Dans l’histoire des entreprises, il y a ceux qui auront été « au front », sur le terrain ou en télétravail, avec les effets anxiogènes et le sentiment parfois, de « surinvestissement » généré par la mobilisation en période de crise, et ceux qui ne l’auront pas été, qui ont connu le chômage partiel, ont pu trouver confortable cette situation ou en souffrir. Cette diversité des situations et des ressentis dans le rapport au risque, dans le rapport à la famille et au temps long, va être complexe à gérer sur le moyen terme, pour unifier et entraîner tout le corps social.
La vélocité dans la gestion de la crise et la complémentarité au sein des Comités de Direction ont été des éléments clés dans l’établissement d’une vision adaptée et dans les mesures à mettre en place pour passer le cap. Les dirigeants sont déjà en train d’analyser la façon dont leurs organisations ont été engagées, agiles. Nous avons observé que les entreprises les plus décentralisées ont souvent mieux fait face à la crise ; certains dirigeants se posent aujourd’hui la question de l’évolution du degré de centralisation de leur société. Dans la manière dont les entreprises se sont comportées vis-à-vis de leurs collaborateurs (primes, protection, collaboration…), certaines seront renforcées par l’’établissement d’un sentiment de solidarité, de considération et d’engagement collectif. Plus encore qu’hier, les valeurs de sens et de responsabilité sociale seront un facteur majeur de différenciation pour les salariés, les clients et les partenaires.
Comment le secteur du recrutement va évoluer ?
Notre rôle est tout à la fois de trouver des talents managériaux à l’extérieur mais également d’accompagner le développement de ces talents chez nos clients. Ce rôle va continuer à être utile pour les entreprises. Quelques évolutions sont en cours, bien entendu. Le métier se numérise. Il est possible d’intégrer de nombreux outils pour l’identification des talents et pour accélérer et fluidifier les process. Nous n’avions pas attendu la crise pour tester et déployer différentes innovations. La période de confinement a été tout à fait passionnante à cet égard pour expérimenter certaines d’entre elles avec des résultats intéressants.
Dans notre secteur, la proportion entre la chasse de têtes et les activités de conseil (développement et accompagnement des dirigeants, évaluation des conseils d’administration) pourrait évoluer. Dans les périodes de crise, l’activité de conseil se développe car des sujets clés se posent davantage : Comment repenser la gouvernance ? Comment renforcer certaines aptitudes managériales ?
Les conseils d’administration et les dirigeants devront repenser leur organisation. Dans cette crise, le fonctionnement de certaines équipes de direction va être questionné. Le développement inéluctable du télétravail va modifier le rôle du manager, qui doit mobiliser de nouvelles compétences. Les dirigeants vont aussi recruter et intégrer de nouveaux talents au sein de leur comité de direction, notamment au regard des besoins numériques.
À moyen terme, c’est le degré de proximité et de confiance aux dirigeants qui sera le marqueur clé de l’évolution de notre secteur.