Paroles de lauréats : Angélique Gérard
Face à la crise, chaque jour, les lauréats et alumni Choiseul, mais aussi plusieurs de nos amis et partenaires, réagissent. Une série d’échanges avec plusieurs d’entre eux qui nous font part de leur vécu, nous exposent leurs stratégies de rebond mais aussi nous livrent leur vision du « jour d’après ».
Aujourd’hui avec Angélique Gérard, Directrice de la relation abonnés du groupe ILIAD et membre du comité exécutif. En 2015, elle occupe la première place du classement Choiseul 100 – Les leaders économiques de demain. Elle est aussi l’auteur de Pour la fin du sexisme ! Le féminisme à l’ère post #MeToo (Eyrolles) publié en 2019.
Comment avez-vous adapté votre organisation à cette crise sans précédent ?
Les semaines que nous venons de vivre à la Direction de la Relation Abonnés (DRA) de Free ont été bouleversantes dans tous les sens du terme. L’expérience humaine que nous vivons actuellement est sans précédent. Les semaines à venir seront également épuisantes, nous le savons et y sommes préparés.
Chaque jour, j’ai l’immense privilège de travailler avec des équipes inspirées, qui mettent leur entrain, leur créativité et leur passion au service de notre organisation pour assurer leur mission sans relâche. Des collaboratrices et collaborateurs qui ont réussi une transition vers le télétravail en un temps record, suite aux directives mises en place par le gouvernement, sans rupture ni perte au niveau de la production du service d’assistance et de sa qualité. En seulement quelques jours, tous nos FreeHelpers étaient installés pour travailler chez eux, grâce à nos solutions maison, plateformes et équipements Free. Nous avons également pu développer en interne un nouvel outil audio FaceToFree très efficace pour répondre à la demande et s’adapter rapidement à la situation.
Le Covid-19 est une première en matière de risque pour les entreprises, un enjeu important pour les Ressources Humaines (RH). Nos RH ont été au cœur du dispositif, et ont également fait preuve d’une souplesse et d’une grande transparence. Leur mobilisation a été majeure.
De quelle manière le groupe Iliad s’est-il mobilisé dans la lutte contre l’épidémie ?
Il a fallu agir rapidement pour répondre aux besoins internes et préserver la qualité de vie au travail de nos équipes : déploiement de plus 1 700 postes en télétravail, développement d’outils pour s’adapter aux conditions du travail à distance, le Groupe a aussi mis en place des mesures sanitaires adaptées et renforcées pour préserver la santé de ses 11 000 collaborateurs, intensification de la communication, réorganisation des plannings, des process, mobilisation des équipes, déploiement de formations, création d’une boîte à idées solidaire interne, etc. Toutes les mesures collaboratives qui ont pu être mises en place ont été bénéfiques et nous avons pu vérifier que nos valeurs communes de bienveillance et d’entraide ont joué un rôle indispensable dans cette réussite !
Le Groupe ILIAD a par ailleurs publié sur le portail free.fr notre manifeste « Free s’engage » face à la crise sanitaire. De nombreuses mesures ont été prises pour réagir rapidement et répondre aux besoins de nos abonnés :
- mise en place de solutions pour assurer une continuité de service (équipes techniques de déploiement réseau, conseillers disponibles notamment via le service d’assistance visio et audio FacetoFree, service d’interventions à domicile maintenu, demande de rappel par un conseiller de boutique Free, réseau de bornes Free à disposition, solutions d’aide en ligne, notamment sur le site d’Assistance),
- services offerts pour soutenir les abonnés pendant le confinement (offres d’heures d’appel, de data, de 4G, de chaînes TV),
- création d’un fonds de solidarité à destination de nos sous-traitants TPE/PME.
Nos métiers ont été reconnus d’intérêt vital par le Gouvernement ; tout comme le personnel médical, les agriculteurs, les routiers et les journalistes, par exemple, les équipes de FreeHelpers n’ont pas été arrêtées. En tant que marque Free, nous sommes un repère du quotidien pour beaucoup de Français.
Alors que le Covid-19 continue de se propager à travers le monde, notre mission va désormais au-delà d’une simple assistance, elle devient indispensable pour beaucoup de foyers en France. Le téléphone, la connexion Internet et la télévision doivent fonctionner pour garder le contact avec l’extérieur, s’informer, travailler, se distraire, accéder à l’éducation en ligne et garder le moral pendant cette difficile période de distanciation sociale. Mais aussi pour acheminer les appels d’urgence et assurer les téléconsultations médicales !
Les équipes de la DRA de Free font donc partie des forces vives de notre pays et contribuent en première ligne à la lutte contre la propagation du virus. Nos abonnés comptent sur nous et nous sommes clairement au rendez-vous ! Depuis le début du confinement, nous avons en effet relevé moins de 10 % d’absentéisme au sein de nos équipes, qui se sentent clairement responsables et impliquées dans leur mission solidaire.
Au-delà de Free, nombre d’entreprises ont démontré une très grande solidarité. Quels sont les exemples qui vous ont le plus touchée ?
C’est dans les crises les plus importantes et dans les épreuves les plus dures que les entreprises révèlent le meilleur d’elles-mêmes. C’est aussi là que l’on découvre la vraie personnalité et les valeurs des dirigeants – dans les décisions qu’ils prennent dans l’urgence, avec les tripes.
Beaucoup d’entreprises ont fait preuve d’une grande générosité, et les actes solidaires sont de plus en plus nombreux. J’ai été touchée de manière générale par cette entraide qui s’est mise naturellement en place partout et dès le début de l’épidémie. Ceetrus par exemple a pensé à dédier 15 espaces d’accueil aux femmes victimes de violences conjugales au sein de ses centres commerciaux. Phildar aussi a choisi de se mobiliser pour une cause, celle de l’isolement en Ephad, avec le lancement du programme « Une pelote, un projet », en partenariat avec Maison de Familles (Creadev) et La Croix Rouge. J’ai aussi été marquée par l’action de l’enseigne Fashion3 (entité des qui rassemble de nombreuses enseignes du textile) qui a permis une sortie décente aux personnes démunies hospitalisées grâce à un don considérable de vêtements à l’hôpital Bichat.
Par ailleurs, les initiatives qui ont émané des particuliers m’ont également impressionnée, chacun essayant d’apporter sa pierre du mieux qu’il peut, à son échelle. Comme le jeune Roméo, 14 ans, qui a fabriqué chez lui, à l’aide d’imprimantes 3D, 60 masques à visière par jour, qu’il a notamment livrés au personnel soignant de l’hôpital des Peupliers, proche de son domicile. Pour motiver une communauté de makers de masques, il a même créé un site Internet, activé les réseaux sociaux et lancé une cagnotte en ligne ! Ils sont maintenant plus d’une quinzaine d’ados à contribuer à l’effort collectif.
Une phrase m’a particulièrement marquée durant cette période de confinement : « Puisqu’on ne peut plus se serrer la main, serrons-nous les coudes. » Elle résume parfaitement l’état d’esprit qui règne actuellement : la culture individualiste aussi a ses limites, et elles sont clairement atteintes. Tout l’enjeu consistera à pérenniser le formidable élan de solidarité que cette crise a inspiré à tous les acteurs de la société, tous âges, origines et classes sociales confondus.
Comment vous projetez-vous dans l’après-crise ? Voyez-vous dans cette crise, une fois qu’elle sera terminée, des opportunités nouvelles ?
Même si l’après-crise est difficilement palpable pour le moment, tant la gestion est prenante au quotidien, avec une adaptation à revoir au jour le jour, j’ai eu l’occasion d’y penser et de me projeter dans un idéal, marqué par tous les enseignements qu’il a été possible d’en retirer. Parce que cette période est faite d’opportunités qu’il faut saisir – certaines aujourd’hui et d’autres plus tard.
La manière dont nous avons géré la crise au sein des entreprises que je dirige m’inspire beaucoup et me permet de penser à l’après-crise de manière sereine malgré le caractère anxiogène qu’elle implique. J’ai pu tirer des enseignements sur l’agilité de notre organisation et son caractère auto-apprenant. Nous avons permis de placer en télétravail plus de 1 000 collaborateurs en 3 jours, un plan d’action que nous n’avions jamais activé auparavant. Une véritable réussite qui en dit long sur nos possibilités d’adaptation et de réactivité en intelligence collective. Nous pourrons désormais appréhender chaque changement avec beaucoup plus de tranquillité d’esprit et de confiance en nous.
L’anticipation est aussi un enseignement à tirer qui nous servira sensiblement plus tard. Nous avions initié un plan de continuité dès le 15 février, et un plan de prévention dans les jours qui ont suivi. Cette capacité à être pro-actifs nous a permis de réagir avec un minimum de recul et sans panique. Il en est de même pour ce qui est de l’avance prise sur le développement du digital dans nos entreprises. Au-delà du fait que le digital fait partie de notre ADN par la nature de nos offres, nos organisations s’appuient depuis toujours sur des outils numériques développés sur mesure en interne, s’adressant aussi bien à nos abonnés qu’à nos collaboratrices et collaborateurs.
La question de la transformation digitale est centrale depuis longtemps déjà pour l’évolution des entreprises. Le constat d’obligation pour les dirigeants de travailler sérieusement sur des transformations de fond pour ne pas être relégué au second plan économique a pris tout son sens avec la crise sanitaire qui nous touche. Tout s’est soudainement accéléré, comme pour signaler qu’il fallait y être préparé. Les organisations qui ont pris du retard sur la digitalisation de leurs services et outils sont définitivement distancées et vont avoir des pertes de chiffre d’affaires importantes. Les entreprises qui ont investi le digital en amont correctement profitent actuellement de tout ce sur quoi ils ont su capitaliser depuis 3 à 5 ans au minimum. Les plans d’action efficaces, les achats en cross canal par exemple sont facilités.
On dit souvent que les outils digitaux utilisés en interne dans les entreprises sont également un facteur de réussite. Je le disais plus haut, Workplace by Facebook, dans notre cas, nous a permis d’échanger de façon très fluide, rapidement, et de manière efficace pour affronter cette crise en créant du lien, des synergies entre des personnes qui n’étaient pas forcément en contact dans nos différentes unités. La communication a littéralement explosé entre les différentes équipes ! On constate définitivement que la technologie n’est pas un frein, elle construit l’humain et ouvre des portes inconnues…
Cela laissera des traces indélébiles dans notre manière de fonctionner : avec moins de freins au changement dans nos organisations, nous exécutons aussi plus rapidement, plus besoin d’argumenter pour faire évoluer un process par exemple. Le cap est donné et suivi avec d’excellents résultats et beaucoup d’implication. C’est souvent lorsque nous n’avons plus le choix de changer qu’on expérimente ce qui nous semblait impossible. Le télétravail est l’exemple par excellence de cette expérience inédite. Le dispositif est totalement réalisable pour l’ensemble des équipes qui jouent parfaitement le jeu ! Mais cela va au-delà du bon fonctionnement : il s’avère que la productivité est même meilleure et les réunions plus efficaces, car elles peuvent démarrer et se terminer à l’heure.
La question du sens me paraît finalement centrale. Le sens des missions du service public par exemple, mais aussi le sens que l’on met dans toute chose que nous faisons. C’était déjà très présent chez moi, mais cela l’est davantage dans le contexte actuel. Sans sens et sans vision réaliste de l’avenir souhaité, comment se réveiller ? Primo Levi l’écrivait si justement : « Entre le blanc et le noir, situés aux extrémités du spectre, existe un infini nuancier de gris. Dans les gris les plus sombres, la demande d’un régime plus autoritaire ; dans les gris foncés, les logiques et les mécanismes qui s’emploieront à “un retour comme avant” ; dans les gris clairs, fourmille une multitude de raisonnements, de prises de conscience, d’initiatives entrepreneuriales, associatives, communales, territoriales, individuelles qui explorent un autre avenir. Focalisons-nous sur leurs promoteurs. »
Selon vous, quels changements majeurs caractériseront le « monde d’après » ?
Il me semble qu’au lieu de « changements », nous pourrions parler de « défis ». Notre système est malade, et c’est un virus qui l’aura révélé. La crise du Covid-19 a créé un nouveau monde, une nouvelle manière d’appréhender les événements et les éléments qui nous entourent. Nous avons pris une surprenante et néanmoins nécessaire leçon d’humilité à tous les niveaux, aussi bien politique, que scientifique ou encore écologique.
La lourdeur bureaucratique par exemple, qui a petit à petit quitté les entreprises qui s’en sortent parce que désormais réactives et agiles, est omniprésente dans la fonction publique et l’univers politique. Notre guerre, il me semble, ne doit pas cibler un virus, car le monde connaîtra malheureusement d’autres causes, mais s’attaquer à l’absence de mouvement, de modernité. Promouvoir l’évolution d’une organisation classique et des pratiques managériales vers moins de carcans, d’obstacles à la prise d’initiatives et au travail collaboratif, à l’instar de la belle digitalisation dont le secteur a bénéficié, apparaît clairement comme une urgence.
Au niveau économique, on assiste à une véritable prise de conscience des limites de notre système, de la mondialisation et de ses risques… « Local is the new global », les cartes de notre système sont rebattues et cette crise marque le début d’une nouvelle ère. Les consommateurs ont une responsabilité importante, celle de choisir ce qu’ils consomment pour dessiner le monde de demain ! Un nouveau chapitre de notre Histoire où se dessinent déjà de nouveaux challenges qui nous amènent à repenser, voire inverser, nos systèmes de valeurs, nos priorités : le prisme écologique et l’économie fondée sur les ressources, l’implication des citoyens dans les questions politiques, le rôle social du travail et des lieux d’apprentissage, les moyens utilisés pour se nourrir et s’approvisionner, le redressement industriel, la part d’investissements dans la recherche, la place du système de santé (le souci du « care » de manière générale, la notion si chère à mes yeux de « soin mutuel », d’altruisme) – à propos duquel l’écoféminisme propose d’ailleurs beaucoup de solutions pour envisager une nouvelle manière de fonctionner.
Les incohérences de fonctionnement ressortent clairement pour inspirer un retour à un mode de vie minimaliste, au local et à la solidarité. Les risques de pénurie sont réels à force d’avoir trop délocalisé, le vrai luxe n’est plus l’argent mais le temps. On assiste déjà à un éveil collectif sur l’humain, les choses simples, les valeurs familiales. On peut penser à un bouleversement des environnements de travail, à plus de respect de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ou encore à l’adoption de rythmes de travail moins classiques comme le flexi-travail, qui tient compte des différents chronotypes.
La crise a permis de pointer du doigt les inégalités, qui vont du problème du mal logement, à l’inégal accès aux études supérieures, en passant par cette terrible fracture numérique. On l’a vu rapidement après le début de la crise, les disparités au sein de la population sont sensiblement marquées face à l’adoption du numérique. Un vrai lien entre précarité sociale et difficultés numériques a été identifié, et le fossé doit être comblé au plus vite, à l’heure où la société tout entière dématérialise ses démarches, ses échanges.
Si l’on en doutait encore, cela prouve au moins, par la force des choses, que la crise environnementale est bel est bien causée par l’activité humaine dans ses modalités actuelles. Cette crise est une opportunité de repenser le modèle, comme si l’humanité était prise dans un engrenage « burn out » et qu’il lui fallait passer par cette terrible crise pour ralentir et prendre le temps de mesurer l’étendue des dégâts d’un système devenu trop fragile. Il nous faudra en tirer de véritables leçons pour établir des plans d’action adaptés et assurer l’avenir des prochaines générations.