Paroles de Lauréats : Jean-Baptiste Bouzige
Plus d’humain dans l’IA
Aujourd’hui avec Jean-Baptiste Bouzige, fondateur et président d’Ekimetrics. Créée en 2006, Ekimetrics est le leader européen de la data science et est présent dans plus de 50 pays. Jean-Baptiste Bouzige est lauréat Choiseul 100.
Face à la crise, chaque jour, les lauréats et alumni Choiseul, mais aussi plusieurs de nos amis et partenaires, réagissent. Une série d’échanges avec plusieurs d’entre eux qui nous font part de leur vécu, nous exposent leurs stratégies de rebond mais aussi nous livrent leur vision du « jour d’après ».
Comment la data science permet-elle d’être plus résilient face à la crise que nous traversons ?
Quasiment tous nos clients ont été heurtés de plein fouet par la crise sanitaire et économique et même les plus épargnés ont vu les règles de leur activité profondément redéfinies par le confinement, et ce de manière durable.
Dès les premiers jours, les entreprises les plus efficaces ont utilisé la data, parfois de manière très simple, pour ne pas prendre de décisions trop drastiques, le premier réflexe en temps de crise étant un recentrage sur le cash. La data science leur a permis de mieux lire la situation et de mieux arbitrer.
Les opérations ont été également fortement impactées par la crise : supply chain, canaux de distribution… autant de problématiques opérationnelles sur lesquelles la tension a été plus forte que jamais et pour lesquelles la data science est d’une aide précieuse pour détendre la pression.
Enfin, la stratégie de repli budgétaire n’ayant qu’un temps, les entreprises se posent aujourd’hui la question de la stratégie à adopter pour les mois à venir, avec une visibilité extrêmement faible. La Data Science permet ici de modéliser, de prévoir, de simuler des scénarios.
Ces 3 dimensions sont une illustration que la Data Science peut devenir un véritable avantage compétitif quand elle est mise au service des questions les plus stratégiques de l’entreprise.
Pouvez-vous nous donner un exemple ? À quels secteurs ces solutions sont-elles les plus adaptées ?
Tous les secteurs BtoC ont un nombre important de questions sur leur stratégie d’investissement pendant et après la crise. Nous sommes un des leaders mondiaux de la modélisation de la performance et nous avons pu mettre notre solution au service du planning stratégique non seulement du 2ème trimestre, mais aussi jusqu’à la fin de l’année et 2021. Cela signifie comprendre et modéliser la résilience de la demande, comprendre les reports sur les canaux e-commerce, identifier les investissements qui vont renforcer la position pour la reprise de l’activité et scénariser et optimiser les scénarios de reprise. Nous y avons aussi inclus des modèles IA de reprise de l’activité économique, basés notamment sur les premières observations de reprise en Asie.
À une autre échelle, la Data Science permet aussi de capturer les nouveaux comportements des clients et de prendre en compte ces tendances pour adapter sa stratégie. Quels sont les segments client qui ont été le plus résilients, comment repenser la fidélité dans cette période, quelle personnalisation du message à la reprise pour recapitaliser sur sa base de clients pour un meilleur départ ? Ici encore la Data Science a 2 rôles majeurs : un rôle de compréhension de phénomènes complexes et un rôle de simulation et de scénarisation, les 2 se complétant pour permettre des décisions plus éclairées.
Nous avons aussi été moteurs dans des initiatives pro-bono comme CoData ou au sein de la communauté Datacraft pour mettre le talent de nos Data Scientists au service des sujets de gestion de la crise sanitaire, avec notamment l’utilisation de l’IA pour modéliser l’impact du confinement et du déconfinement. Nombreux sont les modèles épidémiologiques mais notre approche se démarquait par sa capacité à prendre en compte non seulement la dimension épidémiologique mais aussi la dimension économique, et ce à une maille départementale inédite. En mettant ces modèles à disposition dans un outil d’aide à la décision, nous offrons aux décisionnaires un outil réellement actionnable. Notre fierté dans cette approche a été la capacité à fédérer autour du projet non seulement nos équipes, mais aussi des chercheurs et partenaires.
On entend dire que cette crise va accélérer la digitalisation de notre économie. Comment cela va-t-il se traduire concrètement ?
Le confinement a déjà eu un impact majeur sur les canaux de distribution, avec une accélération en quelques jours de l’implémentation du eCommerce et du pick up in store qui semblait jusque là impossible dans certaines organisations. Nous avons été sollicités pour une précision et réactivité de prévision pour permettre à la supply chain de s’adapter à cette nouvelle donne. Les enjeux actuels portent sur la modélisation des parcours omnicanaux, avec notamment la façon de combiner media offline et online pour optimiser ces flux et parcours.
Avec le déconfinement et la distanciation sociale, le second axe de digitalisation se perçoit par l’émergence forte d’une économie du sans contact. L’impact sur l’expérience client est extrêmement fort, comme par exemple dans le secteur de la beauté où la capacité à tester les produits en magasin ou les expériences de soin par un conseiller sont aujourd’hui impossibles. Ici, nos solutions IA de prescription (avec diagnostic de peau par reconnaissance faciale) sont en train de devenir des actifs centraux de la relation client.
Enfin, la crise a représenté une formidable opportunité de transformation et la transformation data qui était déjà en marche avant la crise va probablement s’accélérer. Nous avons déjà vu des entreprises qui ont utilisé les contraintes liées à la crise comme des opportunités de remettre en cause des croyances et habitudes vieilles de dizaines d’années, comme cette enseigne de grande distribution qui mène aujourd’hui une politique ambitieuse de diminution drastique de sa promotion et de ses catalogues papiers. La data permet de modéliser l’impact de ces leviers historiques, de simuler les plans alternatifs et de piloter une démarche de test & learn pour changer en quelques semaines une pratique sur laquelle la résistance au changement était forte.
Au-delà de la digitalisation, quelles tendances voyez-vous émerger dans le « monde d’après » ?
Dans notre secteur où la promesse technologique a trop souvent pris le pas sur la recherche de sens, nous y voyons une opportunité de mettre en avant une de nos convictions principales : la promesse technologique ne peut être tenue que si elle est au service d’une vision claire. Cela signifie plus d’humain dans l’IA.
Un certain nombre de paradigmes et de choix vont être fortement remis en question. Quelle sera la place de la promotion dans la grande distribution ? Comment les cartes de la mobilité vont-elles être rebattues ? Quel va être l’ampleur du retour au local, dans la consommation comme pour le tourisme ? Ce qui est formidable dans notre univers de la data science, c’est de pouvoir être en première ligne pour explorer tous ces nouveaux phénomènes et mieux les comprendre.
J’y vois enfin un monde d’opportunités. Dans un monde de l’entreprise où l’on a trop souvent peur de prendre des risques, où même les approches les plus innovantes comme la data science sont souvent déployées pour faire comme tout le monde, j’espère voir se développer plus d’approches réellement ambitieuses, avec une vraie vision stratégique. Car la Data Science n’est jamais aussi puissante que quand elle est mise au service d’une vision forte.